mercredi 23 novembre 2011

critique parue dans la revue des livres du site Œdipe

Les héritiers de Don Juan

De Miren Arambourou-Mélèse



Personne ou mythe ? A cette question factuelle, le livre de Miren Arambourou-Mélèse n’apporte pas de réponse. Pourtant dès le titre est abordé la question de la filiation, de la transmission et donc du trans-générationnel, des héritiers. Qui hérite donc de quoi ?

Pour certains, le personnage mythique de Don Juan serait né d'un fait divers rapporté par la Chronique de Séville au XVe ou au début du XVIe… Le mythe de Don Juan naissait. Il fut alimenté de différentes histoires et écritures, dans la littérature et le théâtre.

C’est en se reposant sur trois œuvres différentes évoquant la figure de Don Juan que Miren Arambourou-Mélèse va s’appuyer. En 1630, est publié El Burlador de Sevilla y Convidado de piedra par Tirso de Molina, dramaturge espagnol. Puis Molière adapte le texte en 1665. Da Ponte et Mozart en font un opéra Don Giovanni, en 1787. Don Juan, habile, défie la morale, l'ordre public, et Dieu. Le personnage évolue légèrement avec les époques dans les différents textes.

La figure de Don Juan est par essence celle de « l’homme qui, récusant son ascendance, n’aura pas de descendance. » Dans ce livre, Don Juan, y est décrit comme un « épouseur à toutes mains que jamais sa parole n’engage » : séduction des femmes, rejet des règles sociales et morales, défi de l'autorité et de Dieu, châtiment « exemplaire ». Don Juan, impatient d'accéder à la jouissance, récuse l'ordre des pères et l'attente imposée par la transmission : « Que transmettent les adultes, détenteurs du pouvoir, à leurs rejetons, quand ils témoignent des bénéfices extraordinaires de jouissance qu’ils retirent du rejet de toute limite, lorsque c’est le « tout est possible » qui fonde la légitimité de leurs actes ? »

Après un gros travail de recherches, quelques fois un peu trop dense, l’auteur analyse la proximité de Freud avec la figure de Don Juan, et applique ainsi son questionnement à Freud. À partir de plusieurs de ces correspondances : avec sa femme Martha, avec Josef Breuer, Wilhelm Fliess et Sandor Ferenczi, l’auteure montre d’une façon très fine comment les interrogations du clinicien se transforment en une théorie analytique. Miren Arambourou – Mélèse met en lumière le côté donjuanesque de Freud, dans sa recherche permanente d’héritier. L’auteure explique comment la créativité de Freud s’est élaborée à partir de la réalité dans laquelle il était engagé. Que se soit avec Don Juan ou Freud, il est question de créativité, et du lien étroit entre le passage à l’acte et le passage à l’œuvre.

Ce livre est un remarquable travail de recherches et de liens dans les différentes œuvres où Don Juan a existé, et dans les différentes correspondances, souvent peu connues de Freud. De plus, à aucun moment, l’auteure ne s'est prise au jeu d’une « psychanalyse de comptoir » de Don Juan.

Le travail de Miren Arambourou – Mélèse est peut-être trop riche, le contenu est parfois trop dense à la première lecture, le lecteur aurait apprécié des phrases un peu moins longues, et des paragraphes un peu plus aérés qui auraient permis de ne pas trop coller au texte.

Néanmoins, Don Juan a traversé les époques, et la lecture de cet ouvrage nous laisse penser que la figure de Don Juan est encore bel et bien toujours présents dans la clinique contemporaine, chez ces personnes qui évoquent cette toute-consommation, cette consommation à outrance, de toxique, d’objets, de femmes, voire même de temps. « Il vise la jouissance sans limite » écrit l’auteure.

Pour conclure Miren Arambourou – Mélèse écrivait : « Le passé pèse, l’avenir est bouché : Don Juan choisit de vivre le présent, dans une jouissance toujours à répéter, qui n’inscrit aucun lien ». Pourtant avec l'excellente capacité à faire lien de l’auteure, et de ce nous entendons au quotidien, Don Juan est bel et bien être immortel, b.a ba pour un mythe.

Florian Ben Soussan

Critique parue dans la revue de la SPP en octobre 2010

Autres publications psychanalytiques

Miren Arambourou-Mélèse (auteur)
Les héritiers de Don Juan, Déconstruire la transmission coupable

Campagne première, Paris janvier 2009 – 207 pages
Miren Arambourou-Mélèse , professeur d’allemand, puis psychologue et psychanalyste, membre affiliée de la Société de Psychanalyse Freudienne. Dans ses écrits et ses actions de formation, elle s’est beaucoup intéressée à la petite enfance, l’adolescence critique, la maltraitance institutionnelle, la mort prématurée. Passionnée de littérature et de musique, elle est aussi chanteuse lyrique.

Quelle gageure que d’associer Freud à Don Juan, «celui qui figure par essence l’homme qui, récusant son ascendance, n’aura pas de descendance, le libertin à qui sa quête de jouissance barre tout accès à la rencontre de l’autre et de la temporalité » comme le décrit l’auteure.
Dès l’introduction qui a la facture d’un essai littéraire, elle décortique les tragédies de Tirso de Molina, le Don Giovanni de Da Ponte et de Mozart et enfin le Don Juan de Molière, pour déconstruire la figure dominante du père. Ce fil rouge sera constamment mis en regard avec la société patriarcale du début du XXe siècle, l’histoire personnelle de Freud aussi bien que l’histoire de la psychanalyse elle-même.
L’idée maîtresse en filigrane de cette première partie sera l’universalisation par Freud du complexe dOedipe, qui empêche son déchiffrement comme celui de la faute du père, qu’il s’agisse de celle du propre père de Sigmund Freud ou de celui du roi de Thèbes, Laïos, à l’origine de sa boiterie. Le mythe fondateur freudien décrira des fils aux prises avec le désir de posséder leurs mères et de supprimer leurs pères, tous frères en culpabilité d’avoir conspiré et accompli le meurtre du père de la horde C’est cette construction de la généalogie de la transmission et son corollaire, l’ Oedipe, que Miren Arambourou-Mélèse s’attachera à questionner, avançant que la figure de Don Juan, celui qui tente d’échapper à la soumission et de vivre l’amour sans culpabilité, est peut-être plus adéquate pour rendre compte de notre modernité libérale.
Si elle ne se prononce ni pour ni contre la conception freudienne de la femme, son approche, cependant, dérange, d’un bout à l’autre de cet essai : elle montre, à partir de l’homme Freud et de ce qui transparaît dans sa correspondance, comment sa théorie découle de ce qu’il était, homme de son époque qui écrivait à sa fiancée Martha : « Nous devons être d’accord que la tenue d’une maison, ainsi que le soin et l’éducation des enfants, requièrent une personne tout entière et excluent tout gain d’argent … »
Dans la seconde partie de l’ouvrage, Miren Arambourou-Mélèse, analyse le chemin parcouru par Freud entre Breuer et Charcot, puis sa relation passionnelle à Fliess et, après l’immense déception de la rupture, la mise en place d’un système théorique défensif qui évitait de s’interroger plus avant sur la faute des pères.
Enfin, la troisième partie ouvre la voie à toute une série de conséquences cliniques qu’il faudrait pouvoir travailler point par point. Elle y fait une large part aux avancées de Winnicott, mais aussi nous livre son propre positionnement ainsi que l’espace transitionnel qu’elle est capable de permettre à son patient d’habiter. L’auteure propose alors une reprise en compte de la différence des générations, de la différence des sexes, comme elle le dit, une transmission qui ne serait plus coupable. « Serait-ce le propre d’une discours féminin que de considérer que la loi « repose et pacifie » ? (p. 169) interroge alors Miren Arambourou-Mélèse. Ici les choses peuvent se nouer autrement où l’entame reconnue du père rend à chacun la possibilité d’être son digne héritier. « Un père qui transmet sa part de masculin à partir de son entame ne fait pas barrage mais lien au féminin » (p. 170) ajoute-t-elle, nous invitant à renouveler des conceptions trop ancrées dans un schéma œdipien simplificateur.
A travers cet essai, Miren Arambourou-Mélèse en amènera peut-être certains , ou certaines, à réinterroger la place qu’occupent les femmes dans le discours de la psychanalyse, ceux et celles qui ne se seront pas laissés rebuter par la « surdocumentation » et la densité parfois austère de l’ ouvrage.
Marlène Naxarra (octobre 2010)